La Peste, d’Albert Camus, se
vend, se lit et se relit beaucoup, partout, ces derniers temps et quoique cela puisse sembler évident, on peut se demander
pouquoi, pour quelles raisons exactement. Que peut-on bien chercher – et éventuellement trouver – en ces temps de coronavirus et de confinement, dans un roman
publié en 1947 et dont l’action se situe à Oran ? Quelles clés pour la compréhension
de ce qui nous arrive et pour notre survie ? Quels regards sur la peur, la
dignité en ces temps de pandémie, quels portraits de l’amitié, l’amour, la haine,
la solidarité et l’engagement nous donne ce roman qui fait effet de miroir à
notre angoisse existentielle ?
Un temps de confinement indéfini est, certainement,
un temps à mettre à profit pour lire ou relire les classiques de la littérature
universelle et La Peste en est un. La Peste ne peut pas nous distraire de
nos soucis, loin de là, en revanche, le roman nous présente des prises de
position et des points de vue différents et nous invite, si on le veut bien, à
faire une lecture philosophique de tout “cela“ qui est en train de se passer.
L’origine
du roman remonte à une épidémie de choléra, en 1849 à Oran, au Nord de l’Algérie
(un des deux pays de Camus, avec la France) et comme dans tous les classiques,
– ou est-ce pour cela que ce sont des classiques ?- on y trouve des
destins individuels, tous tressés ensemble et fondus dans une histoire collective et lire La Peste implique – ou permet –
plusieurs couches d’interprétation : un temps, un endroit et un fléau
particuliers deviennent tous les temps, tous les endroits et tous les fléaux. Le
choléra est la peste et aussi la peste brune (nazisme) et bien entendu, le
coronavirus ; Oran en 1849, c’est
Oran au milieu du XXème siècle et c’est n’importe quelle ville de Chine,
d’Italie, du monde, c'est Barcelone, juste maintenant, en 2020. Les télégrammes du
roman sont nos whatsapp, facebook et instagram.
La peste devient le nom générique de toutes les maladies contagieuses, de toutes
les épidémies physiques et mentales. “Les
pires épidémies sont morales” disait Camus (1947: temps de dictadures et de
guerres à peine finies) “et les seuls
remèdes sont forcément moraux aussi”. La peste est amenée par les rats, la
peste brune, par les totalitarismes. Pourrions-nous penser notre temps actuel,
un temps pris dans les griffes du coronavirus, en termes de totalitarismes ? Comment
fonctionne notre économie, qu’est-ce que la globalisation, exactement ?
La Peste fait partie du cycle de
la Révolte, avec L’Homme révolté et Les Justes (différent du cycle de
l’Absurde l’autre pilier de la philosophie de Camus). Chez Albert Camus, c’est l’amour
qui triomphe – le Dr Rieux a une capacité inouïe à aimer – et si la vie est
absurde et n’a pas de sens, la plus grande victoire, la révolte parfaite, c’est
la joie, le bonheur de vivre, la recherche d’un sens à la vie à l’intérieur de
notre propre vie.
Il est impensable, pour le moment en tout cas, qu’on puisse un
jour dire du coronavirus qui nous confine et nous inquiète “à quelque chose malheur est bon”. Pour le moment, c'est un peu trop dur et déconcertant. Il se peut, par contre, et d’une certaine façon c’est ce
que nous espérons tous, que les individus, les sociétés, l’ humanité, ressortent
de là grandis. Quel rôle joue la peste dans le roman ? Quel rôle joue et
continuera de jouer ce virus dans nos vies ? Pour l’heure, c’est une bête implacable qui nous oblige à être avec nous-mêmes, à méditer sur le temps qui passe
(ou sur notre manière de le passer), sur notre vie personnelle et nos choix tout au
long de notre trajectoire, sur la vie en société, la mort...
L’épidémie est, tout à coup, et si nous jouons le
jeu – ou si nous relevons le défi, plutôt -, une école de vie, un cours
intensif de développement personnel. La consigne de confinement est la même
pour tout le monde, chacun-e avec ses circonstances particulières (santé
mentale et physique, enfants, animaux de compagnie, jardin, de la famille loin,
télétravail, pertes ou non de gains, il y a tant de paramètres...) et le travail préliminaire que chacun-e
aura effectué sur ses peurs, sur la
solitude, sur la passion de vivre aura aussi son mot à dire.
Quelle leçon tirerons-nous de ces temps si
difficiles ? Quelle leçon les humains ont-ils tirée de la grippe espagnole, la
terrible Influenza de 1918 ? de la grippe aviaire, des vaches folles, de l’Ebola,
de tous les fléaux qui continuent à dévaster l’Afrique ? Et ces dernières
années, quelle leçon avons-nous tirée jusqu’à présent, de la recrudescence des
maladies respiratoires à cause de la pollution massive de l’air que nous respirons
?
Cette periode forcée de séparation d’avec nos
êtres aimés et nos routines sera-t-elle une opportunité, au bout du compte ? Sinon
pour nous, pour ceux qui viennent ? Nous sentons maintenant la fragilité de la
vie parce que nous pressentons notre fin et la fin d’une époque que nous connaissons et “maîtrisons à peu près, plus ou moins bien ”. Serons-nous
capables d’apprendre la compassion dont les grands sages de partout nous parlent depuis si longtemps et une bonne fois pour toute, l’amour de la Terre Mère, la Pachamama, comme on dit en terres andines ?
Arriverons-nous à donner la priorité, enfin, à la vie, à freiner un rythme frénétique
de croissance économique, et donc d’inégalités ? À repenser un ordre
bénéfique pour le plus grand nombre de personnes et êtres vivants ? Dans La Peste, le Dr Rieux ne veut être qu’ “un homme solidaire avec les
vaincus”.
“Il y a eu
dans le monde autant de pestes que de guerres et pourtant pestes et guerres
trouvent les gens toujours aussi dépourvus” écrit Albert Camus. C’est grave...
ou en est-il simplement ainsi ? Pourrions-nous changer quelque
chose ? “La seule façon de s’en sortir
quand on est un être humain, c’est de considérer que rien n’est n’est immuable,
et la peste non plus”. Dans le roman, le chemin parcouru par chacun des
personnages est fascinant. Chacun a quelque chose à nous apprendre. La leçon la
plus magistrale, peut-être, est que si nous ne formulons pas les bonnes
questions, il est sûr et certain qu’a peine sortis d’une crise, nous préparons
directement le terrain pour la prochaine crise... la prochaine peste. À la fin du livre, les gens ressortent
dans la rue, heureux, le coeur léger, et c’est bien ce que nous désirons de toutes
nos forces, en ce moment, sortir le coeur léger. Les gens sortent et rient... et
Camus, par-dessus leurs rires, nous invite à nous poser la question : des
gens simplement heureux ou... des imbéciles heureux ?
Pour le moment, La Peste, sous forme de roman, se propage partout, elle va sur les
traces du coronavirus: pourvu, cette fois-ci, qu’elle nous touche en
profondeur, durablement et qu’au sortir de cette lecture et de ce confinement, de cette pandémie, nous soyons mieux disposés, plus engagés, solidaires et pleins
d'amour et de respect pour la Planète ! Authentiquement, viablement heureux.
Bonne (re)lecture ! Et ceci est un hommage et un
remerciement pour tout le personnel soignant, tous les Drs Rieux du coronavirus
pour la tâche immense qu’ils accomplissent, tous !
***
Sources: reflexions personnelles au cours de la relecture,
nourries des apports de l’avalanche de commentaires et d’articles qui ont été
publiés tous ces jours-ci autour de La
Peste au temps du coronavirus. Écrire sur La Peste, n’a pas été un choix original, simplement une évidence.
Allez, à bientôt, Muriel (et prenez bien soin de vous ! restez à la maison !!!)
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