Et ta blessure, où est-elle ? / Je me demande où réside, où se cache la
blessure secrète où tout homme court se réfugier si l’on attente à son orgueil,
quand on le blesse ? Cette blessure — qui devient ainsi le for intérieur —,
c’est elle qu’il va gonfler, emplir. Tout homme sait la rejoindre, au point de
devenir cette blessure elle-même, une sorte de cœur secret et douloureux. Si
nous regardons d’un œil vite et avide, l’homme ou la femme* qui passent –le chien
aussi, l’oiseau, une casserole- cette vitesse même de notre regard nous révèlera,
d’une façon nette, quelle est cette blessure où ils vont se replier lorsqu’il y
a danger. Que dis-je ? Ils y sont déjà, gagnant par elle –dont ils ont
pris la forme- et pour elle, la solitude : les voici tout entiers dans l’avachissement
des épaules dont ils font qu’il est eux-mêmes, toute leur vie afflue dans un
pli méchant de la bouche et contre lequel ils ne peuvent rien et ne veulent
rien pouvoir puisque c’est par lui qu’ils connaissent cette solitude absolue,
incommunicable –ce château de l’âme- afin d’être cette solitude elle-même.
* Les plus émouvants
sont ceux qui se replient tout entiers dans un signe de grotesque dérision :
une coiffure, certaine moustache, des bagues, des chaussures… Pour un moment toute
leur vie se précipite là, et le détail resplendit : soudain il s’éteint :
c’est que toute la gloire qui s’y portait vient de se retirer dans cette région
secrète, apportant enfin la solitude
Voilà, c'était à partager, n'est-ce pas ?
Le Funambule, Jean Genet, Editions Gallimard, collection L'Arbalète |
* Jean Genet: (1910-1986), romancier, poète et dramaturge français profondément rebelle. C'est un marginal dont l'écriture raffinée exalte le mal, le mépris de l'ordre social, la perversion.
Bon, à bientôt, Muriel
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